Guillaume Frauly

Guillaume Frauly
Les lettres sont sa matière…
exposition Zask's the Question, Galerie Anatome, février 2004

Les lettres sont sa matière, ses signes. Elle les « dépèce jusqu’à l’os », les décompose ou les ordonne comme pour mieux en révéler le sens, en faire des images. Elle construit une grammaire, structure la création en la décomposant méthodiquement pour s’exprimer par le signe, laisser une trace, distiller un message. Graphiste, affichiste, artiste, auteur… Catherine Zask est aussi multiple que ses écritures ou la matière à partir de laquelle elle développe son langage visuel. Elle prend toujours la lettre comme point de départ.

« Ce sont toujours les mots qui pour moi font image ».

Depuis sa formation à l’ESAG (École supérieure d’art graphique), dont elle sort diplômée en 1984, elle ouvre son atelier parisien et développe ce travail sur la lettre. Impossible de dissocier son travail de commande de ses recherches parallèles, tant la symbiose entre les deux est nécessaire.

Ses explorations et expérimentations graphiques trouvent un écho dans ses commandes et c’est justement cette approche qui séduit ses clients, L’Hippodrome – scène nationale de Douai, la Scam ou encore l’École d’architecture Paris-Malaquais.

Ses images ne sont qu’entrelacements, enchevêtrements de matières, interactions, « gribouillis » ou dislocations… Son terrain d’expérimentation : l’affiche, la page, mais surtout chaque élément qui la compose, les lettres, mais aussi « les entre-mots, entre-lettres, entre-lignes, révélés par noircissement ». Elle procède par tâtonnement, par intuition, à la recherche d’une méthode, d’une grammaire, afin de communiquer ses émotions.

Méthodique et cartésienne, Catherine Zask doute, lutte, argumente et développe, sans pour autant se prendre au sérieux. Elle s’approprie les signes, les interprète pour un destinataire, mais également pour elle-même. Elle les surnomme ses « radiographies de pensées ».

Énigmatique, Catherine Zask ne se livre pas facilement. On découvre son intérêt pour l’architecture, l’espace, qu’elle regarde encore une fois avec un œil différent, analysant les éléments qui composent une construction, choisissant d’exercer son regard, de tout mémoriser, d’interpréter et comprendre ce qu’elle voit pour reconstruire.

On découvre qu’elle rêve de produire de l’immatériel, des sons par exemple, ou qu’elle cuisine les soba al dente avec une sauce aux truffes noires (le noir & blanc n’est jamais loin !). Catherine Zask est une graphiste en effervescence, dont le travail ne s’apprécie que si l’on y met du cœur. « La relation avec l’autre induit la méthode ».

Pierre Fresnault-Deruelle

Pierre Fresnault-Deruelle
La lettre comme image
Étapes, n° 112, septembre 2004

On connaît les pierres levées de Stonehenge dont la dure silhouette découpée sur l’horizon ne laisse pas d’impressionner. On connaît aussi ce qu’il reste des murailles de Tyrinthe prétendument bâties par les Cyclopes, derrière lesquelles, avant que la Grèce policée ne bâtisse ses temples, se fomente toute une vie guerrière dont les Tragiques nous disent qu’elle fut une sorte de cauchemar sans fin. Le rougeoiement des incendies allumés par les soldats d’Agamemnon est une lumière que l’éclat d’Hélios, sur le marbre des temples, ne peut totalement neutraliser.

Il y a de cette terrible lueur sur l’affiche de Catherine Zask qui fut chargée d’annoncer qu’on donnait Macbeth de Shakespeare un soir de novembre 2001 à L’Hippodrome de Douai. Sur l’affiche de la graphiste, les lettres du mot « Macbeth » se présentent comme le haut crénelé de quelque château. Nous sommes en Ecosse, c’est-à-dire bien loin de cette Grèce pré classique (où l’imaginaire romantique retient plus facilement les terrifiantes Erinyes que les souriantes Euménides) ; mais Il se trouve que la couleur bronze, transparaissant dans le ciel de l’image, évoque aussi bien l’airain des Celtes que celui des Atrides. En Bref, l’Ecosse mythique de Shakespeare est d’abord une terre lugubre dont les forteresses, quels que soient les firmaments qui les dominent (on peut, aussi, songer aux burgs de Victor Hugo) disent partout la même vie ensauvagée.

L’affiche de Zask a la roideur du sujet qu’elle traite, ou plutôt du spectacle qu’elle annonce. La pièce du dramaturge élisabéthain, on le sait, est d’une rare noirceur, que rien ne peut adoucir, si ce n’est les moments de moindre tensions qui, comme les répits lorsque le malheur règne, permettent à ce dernier de reprendre de plus belle.

Le spectateur se heurte frontalement à ce mur comme un prisonnier à celui de sa prison, qui n’aperçoit le ciel qu’à travers la seule ouverture d’un soupirail. En vérité, c’est d’un autre enfermement qu’il s’agit : les personnages de Shakespeare vivent dans l’espace contraint de l’aveuglement ou de la folie. Lady MacBeth (image : tableau de Füssli, Lady MacBeth) on le sait, est somnambule, qui erre, tourmentée par le sang qu’elle a fait verser ; Macbeth, après, son crime, cherche et trouve le trépas. La chiche lumière qui éclaire la scène est celle d’une nuit incertaine sur laquelle se détache en caractères d’infamie le nom du meurtrier de Duncan et Banquo. On sait que le remords (ce qui vient « remordre ») est comme l’amour (mais pour de tout autres raisons) ce qui peut faire délirer les hommes. De fait, ces formes abstraites que sont les lettres deviennent, au sommet du rempart qui les exhausse, les signes hallucinés de la dénonciation du régicide. Funeste gloire du damné dont le nom porte les couleurs de la mort et qui, dressé sur le château de Dunsinane, se déploie tel un sinistre chemin de ronde.

Taillées dans le roc, les lettres M-A-c-B-e-t-h, parce qu’elles sont de tailles diverses, ont l’irrégularité des matériaux trouvés sur place, que l’industrie des hommes n’a pas su (ou voulu) égaliser. Normalisées, ces lettres-pierres eussent signifié la commémoration, c’est-à-dire « l’édification » à tous les sens du terme ; mais, arrangées de la sorte, elles disent, d’abord, cette sorte de « brutalisme » qu’on trouve dans les édifices primitifs. Un brutalisme évidemment conforme au climat de cette histoire dont nous sentons bien que, faite de folie sanglante, elle nous est atrocement familière.

Cet usage des caractères réifiés de l’alphabet n’est pas chose rare chez les graphistes. Souvenons-nous de l’affiche du film de Visconti Les Damnés (image : Les Damnés de Visconti) ou, dans un registre souriant, des facéties poétiques de Joost Swarte (image : Les Lettres à l’aise de Swarte, détail), des dessins de Milton Glaser, encore (image : M. Glaser Filmsense). D’une manière générale, les lettres sont depuis toujours considérées comme des êtres graphiques (des « alphabêtes » disait Queneau) dotés d’une vie propre. Parce qu’ils sont en effet des notations arbitraires (comme disent les linguistes) les lettres et les mots ont tendance à retrouver, comme par compensation, les images de l’idéographie. Que dire, à ce sujet, de L’Art de la conversation de Magritte (image : L’Art de la conversation, Magritte) tableau sur lequel le peintre montre un empilement, aussi massif qu’improbable, de blocs de granit ? Ce délire « constructiviste », on le sait, cache en son sein le vocable « rêve » dont une des connotations — l’inconsistance- tranche d’étrange façon avec la matérialité de ses composants. Comme si les mots (ou plutôt leurs images) étaient dotés d’un poids d’imaginaire plus lourd que le peu de réalité à quoi nous nous raccrochons…

La réification des signes est devenue, au XXe siècle, un lieu commun. Et pourtant, lorsqu’une affiche comme Macbeth paraît, le court-circuit (en principe révoqué) qui va des lettres aux images se voit soudain chargé de sens. Considérant les lettres et leur syntaxe comme le plus noble des matériaux, notre graphiste célèbre Shakespeare magnifiquement. Ailleurs, ce sera Tchekhov (image : Les trois sœurs) ou Claudel (image : Tête d’Or) Zask ou l’exigence.

Henri Gaudin

Henri Gaudin
À la lettre [extrait]

Texte écrit à l'occasion de l'exposition Zask's the Question à la Galerie Anatome (2004)

et développé pour le livre Poster Collection 12 (2005)

Zask : un court-circuit entre les altitudes de deux tirets ; Z pour l’éblouissement du regard, S pour la musique du trait ; la dernière et première lettre de l’alphabet pour dire que la symbolisation humaine est là, à l’intérieur des lettres. Dans le bâton primitif, la griffe humaine. Le premier geste ne s’alanguit pas. Avec le silex, se creuse l’ornière primordiale. Au charbon, en négatif, s’écrit l’aube : une ligne horizontale. L’embrasure d’un ciel noir éclaire violemment son amour de la lettre. Catherine Zask tire le trait, croise les jambages majuscules, dessine des aiguillages pour nous faire prendre des directions insoupçonnables, traque les atomes de l’écriture.

La lettre M prend la puissance du meurtre. La gageure : aller au-delà des nominalistes. Avec eux le mot « chien » aboyait ; chez elle, amour et violence sont dans les signes typographiques. Avant la lettre même. À la Villa Médicis, elle coupe en trois le R de Rome, dessiné à l’encre sur papier. Sans doute pour nous dire qu’il y a plus primitif que le bâton, et que la symbolisation précède le signe. Le mot ne naît pas du cri, mais de la conscience déjà du mot. On ne peut dire « arbre » sans connaître déjà ce qui n’est pas l’arbre. D’où l’incessante errance entre le mot, l’avant du mot : la lettre ; l’avant de la lettre : un gribouillis. L’avant de l’avant, le germe d’une pensée qu’est la figure. Par où débute-t-elle, la pensée : le trait ? le gribouillis ? Catherine Zask emprunte le chemin amont, elle se tient dans le clair-obscur. C’est à la recherche d’un Rome d’avant Rome qu’elle part ; d’avant que le soc de la charrue ait marqué la frontière du dehors et du dedans pour fonder la ville. Avant que ce soc ne soit levé, là où seront implantées les portes. Sa rage de comprendre la partage entre questionnement (souvent claque le « pourquoi ») et mutisme. Entre expressions cabalistiques et gestes de la main qui tranche. Entre l’embrouillamini et le coup de sabre du trait. C’est parce qu’elle aime les mots qu’elle s’acharne à les interpréter jusqu’à l’impossible. Elle dit « dépecer jusqu’à l’os ». L’herméneutique de l’écriture est ce voyage sans fin qui va chercher dans la fascination du trait son énergie — énergie d’un soleil noir sous lequel elle retourne la négativité du monde. La lumière brille dans l’écheveau des lignes. Le trait se dénoue dans le geste de la main qui torsade et enroule sans jamais étrangler l’espace. Elle ouvre les volets.
Sans cesser de témoigner de la violence du monde, elle la stigmatise : c’est le fait de l’artiste. Toute généalogie traverse des tas d’ossements, mais son voyage à la source du signe va du mot jusqu’au jambage de la lettre. Si elle joue de la lettre, c’est pour nous dire que sa solitude serait mortelle. On ne prononce le mot qu’inclus dans tous les mots du monde. En l’exceptant, on ne le désigne pas sans faire appel à tous les mots, à toutes les choses. Du trait, elle retourne à la lettre, au mot, à l’écriture.

Annik Hémery

Annik Hémery
La grande Catherine

Intramuros, n° 113, juillet-août 2004

La Galerie Anatome (Paris) expose Catherine Zask, une graphiste qui, en désarticulant les mots, a ouvert la boîte des sens. Et avec elle, un espace infini de liberté pour le graphisme.

Grand Prix à la Biennale Internationale de design graphique de Brno 2002 (Tchécoslovaquie), Catherine Zask est une graphiste discrète dont les travaux, réalisés pour des organismes culturels et institutionnels (scène nationale de Douai, Société civile des auteurs multimédia, École Boulle, École d’architecture Paris-Malaquais, etc.), restent confidentiels.

Intitulée « Zask’s the Question », la première exposition rétrospective, à la Galerie Anatome, ne dévoile pas, tout de suite, le mystère en zappant avec humour la question et en apposant, comme « visuel », des signes cabalistiques sur fond noir. Un fil tendu par la graphiste, qu’il suffit de suivre pour ensuite dérouler la pelote.

Ni ésotérique ni mystificatrice, Catherine Zask, qui a ouvert son agence de graphisme à Paris en 1986, y livre d’emblée le « code » : l’alphabet désarticulé qui lui a servi à écrire son nom sur l’affiche de l’exposition. C’est à la Villa Médicis de Rome, où elle séjourne en 1994, qu’elle a procédé à cette patiente déconstruction typographique en commençant par la lettre R de Rome. Dans une vidéo, elle raconte comment, revenue à Paris, elle a mis au point l’alphabet Alfabetempo qui résulte de « la décomposition des temps du tracé des lettres ». Alfabetempo se retrouve dans l’affiche pour le spectacle Event de Merce Cunningham composée en 2002 pour l’Hippodrome. Un condensé de forme surprenant qui fait doublement sens puisque le nom du chorégraphe y est inscrit (en Alfabetempo) et que cette trace, illisible mais expressive, fait penser au marquage au sol d’un énigmatique pas de danse, ou à un dispositif scénique libéré de la pesanteur.

De telles coïncidences sémantiques se retrouvent pratiquement dans toutes les affiches que la graphiste signe, depuis 1997, pour la scène nationale de Douai. Une collaboration exemplaire entre un commanditaire et un designer graphique qui a choisi de laisser le mot faire librement — et intensément — image. Ainsi dans cette affiche Rain, primée à Brno, presque tous les mots (y compris les informations sur le théâtre) sont liés par des traits, lesquels renvoient au rideau de cordes qui sera installé sur la scène afin de suggérer la pluie ; dans Macbeth, les lettres du titre de la pièce de Shakespeare sont portées, jusqu’en haut de l’affiche, par un immense aplat de couleur noire d’où sourd comme une menace latente ; pour Les Trois Sœurs, le S des terminaisons forme une chaînette qui ressemble au cordon ombilical des origines. Un pied de nez graphique au texte de Tchekhov… Il suffit parfois à la graphiste de tirer sur la patte d’une lettre, d’en gonfler une autre, de lancer sur les mots des fils (filins ?) pour capturer ainsi une infinité d’images sans représentation réaliste, de récits sans mot, de sensations uniques (légèreté, vertige, ivresse).

Cet ailleurs graphique et multisensoriel, qui renvoie puissamment à la vie, ne vise pourtant pas à suppléer la réalité : la mise en scène physique de la pièce, les propos du client, l’imaginaire du public… Pour parvenir à ces constructions ouvertes et si parfaitement ajustées, aussi équilibrées qu’une composition architecturale reposant sur l’emploi du nombre d’or, Catherine Zask procède par d’incessants allers et retours entre le travail de commande et la recherche. Laquelle lui fait emprunter des itinéraires tout à fait inhabituels.

Outre la décomposition du tracé, la graphiste s’est mise ainsi à explorer les blancs provoqués par la composition typographique. C’est en travaillant, pour la Scam, sur une phrase du réalisateur Denis Gheerbrant qu’elle met en évidence un espace entre les mots. Elle l’intitule « révélation des espaces latents » : « Sporadiquement, des espaces (entre-mots, entre-lettres, entre-lignes, entrecolonnes) sont révélés par noircissement. Ces « entre-espaces » (entre-temps, intervalles) peuvent aussi vivre en dehors du contexte qui les a révélés. » Une affiche librement inspirée d’un dialogue de Platon, intitulée Alcibiade au téléphone, traduit ainsi cet espace latent par des zones noires, qui apparaissent comme des négatifs de la parole du philosophe.

Comme la lettre, le gribouillis, une « radiographie de la pensée » pour Catherine Zask, constitue un moyen pour collecter du sens. En 2001, elle décide de ne plus jeter dans la corbeille ses gribouillis mais de les ranger : « Il y en a un, minuscule, qui tourne en rond comme une pelote. Je l’ai remarqué. C’est lui que j’attaque en premier. Scann. Agrandissement. Radiographie. Ca roule, ça s’enroule, ça tourne, ça s’emmêle, c’est un volume, et c’est une pensée. Si le corps peut produire une trace, pourquoi pas la pensée ? » Et ces pensées-là peuvent constituer également des images « latentes ». L’une de ces radiographies de pensées « fait » ainsi la couverture d’une publication sur la recherche (journal En direct publié par l’université de Franche-Comté). Une autre se retrouve projetée, en grand, sur une affiche réalisée pour l’Hippodrome. Dans les volutes vertes s’accroche, de manière pétillante, tout le programme de la saison 2002-2003. Une autre manière de « voir » le théâtre.

Etienne Hervy

Étienne Hervy
Zask, jazz, une cohérence en liberté

Étapes, n° 107, avril 2004

Tel apparaît, de prime abord, le travail que Catherine Zask poursuit depuis 20 ans dans le champ du graphisme.

En 1994, à la Villa Médicis, après déjà dix ans de pratique, Catherine Zask s’attache pendant une année à déconstruire la lettre R. Elle y parvient en isolant au pinceau les gestes : un trait — une courbe — un trait, par lesquels le caractère s’inscrit sur le papier. De l’aventure naît « Alfabetempo » auquel, de retour à Paris, l’ordinateur contribue à donner un aspect architecturé. Chaque lettre s’inscrit selon les 1, 2, 3 ou 4 temps de tracé quelle nécessite. Cette approche quasi-musicale de la lettre traduit bien son graphisme qui restitue rythme et tonalité aux mots. Si « Alfabetempo » délaisse la lisibilité, il n’en conserve pas moins une force d’expressivité, la marque d’un système pensé et approprié. D’autant que l’aventure et l’exploration se poursuivent dans les façons singulières de composer un tel caractère (empilement, juxtaposition, mise en volume dans un cube). Il orne fréquemment les créations à travers lesquelles Zask parle d’elle-même : carte de vœux ou d’invitation, carnet qu’elle offre à ses visiteurs, autoportrait destiné au Jardin des modes, en 1995. Mais « Alfabetempo » participe également à l’affiche d’Event, spectacle de danse de Merce Cunningham, à l’Hippodrome de Douai, en 2002. Le passage est naturel, pour ne pas dire évident ; chez Zask, la distinction entre travail de recherche et de commande n’est pas recevable. La démarche est « une », sa plus précieuse valeur demeure la cohérence.

Au fil du temps, son registre s’enrichit, mais il est nécessaire que les intuitions soient d’abord confirmées par ce qui préexiste, que le diapason Zask résonne favorablement. Une fois reconnu et adopté, un élément formel, un principe de manipulation des lettres se retrouvera indifféremment dans tel ou tel travail. La façon dont il sera appliqué ne dépendant pas tant du client que de la spécificité du contexte. Il en est ainsi des gribouillis que la graphiste sauve de la corbeille, scanne, scrute et radiographie. Même chose pour les espaces latents présents entre les mots du texte. Ces intervalles se sont révélés lors de la composition pour la Scam d’une phrase de Denis Gheerbrant : Chaque fois que je finis un film, j’ai l’impression qu’un espace de liberté tombe derrière moi. La correspondance est évidente : le graphisme de Zask contribue à révéler ce qui lie les mots et tient les phrases, à placer les mots sur un espace de liberté. Catherine Zask peut ensuite donner à cet « espace latent révélé » d’autres significations. Regroupant sur une affiche toutes les répliques d’Alcibiade (dialogue écrit par Platon, rendant compte d’une conversation entre Socrate et Alcibiade, présomptueux candide), elle s’en sert pour marquer la propension du jeune interlocuteur à se faire le réceptacle des paroles du philosophe.

Un mouvement d’ensemble se discerne : déconstruire pour reconstruire, approcher l’abstraction et l’indicible pour mieux dire. Le fruit de l’expérience patiemment recueilli, il faut également veiller à poursuivre le déroulement de la fibre créatrice, laisser le processus poursuivre ses évolutions, guetter et apprivoiser les circonvolutions. Le tout forme cette respiration en un cycle que Zask manie et approprie aux sujets, avec application, humour et exigence. La confiance dans le public est la règle et, parmi de nombreuses autres choses, Zask prend garde à ne pas castrer les gens de leur imagination, notamment en n’entravant pas la sienne. Cependant, « pour réellement comprendre son travail, il faut l’avoir vue danser ou au moins la regarder se rouler une cigarette parfaite avec aisance » (Uwe Loesch, Area, éditions Phaidon). Malgré une connivence certaine avec des graphistes germaniques comme Uwe Loesch ou Werner Jeker, la lettre selon Zask doit déconcerter les amateurs de rigueur typographique. Qu’importent la proportion et la grille en regard de l’expression ? L’une des rares pratiquantes de l’affiche typographique en France a choisi l’impressionnisme sensible plutôt que la géométrie fonctionnelle.

Avec le public, le client est également l’objet d’une attention particulière. Les collaborations avec la Scam ou l’Hippodrome de Douai ont aujourd’hui plus d’une décennie d’existence. Si une telle longévité (remarquable dans un monde où les institutions changent de costume en même temps que de « tête » ou de saison) n’était pas préméditée, elle traduit une confiance réelle. L’exigence de la graphiste fonctionne en plein et c’est aujourd’hui Catherine Zask qui emmène son client plus loin qu’il ne pensait aller dans le temps et la création. Celle-ci évolue autant en fonction de l’évolution des besoins de ses clients que de la marche de son travail. La transmission passe éminemment par l’appropriation qu’opère la graphiste, et sa restitution qui intègre le langage et la linguistique de Zask, sans entraver le message initial. Nulle image ne vient rivaliser avec celles des 20 000 auteurs de la Scam dont les noms et les discours portent l’identité et s’en renforcent. Les spectacles et pièces donnés à l’Hippodrome sont communiqués par une mise en scène, celle de leurs titres. L’absence de concurrence pour ces deux établissements confère une réelle liberté d’action et d’expression dans la création. Il y a aujourd’hui des affiches à Douai car il y a d’abord eu Macbeth, pour qui s’imposait l’idée d’une affiche (en novembre 2001 ; l’année suivante, la graphiste recevait le grand prix de la biennale de Brno pour Rain). Plus que l’identité des institutions, ce sont des messages et des sujets partagés par les différents interlocuteurs, graphiste incluse, qui sont véhiculés. Il s’agit d’une vision subjective, celle de Zask qui réagit à un mot, une histoire, un discours d’auteur (cinéaste de la Scam ou tragédien à Douai). En y ayant accès, le spectateur est libre à son tour de réagir.

Aujourd’hui, c’est aussi, et de plus en plus fréquemment, son propre travail que Catherine Zask doit transmettre. Les systèmes mis en place sont suffisamment affinés pour avoir une valeur (et un intérêt) en tant que création graphique pure. Judicieusement intitulée « Zask’s the Question » par Gérard Plénacoste, la Galerie Anatome lui consacre une exposition à partir du 29 avril 2004 ; Roger Châtelain la présente dans son livre Rencontres Typographiques « À la netteté de la typographie, associer la clarté des idées et la gaieté des couleurs. », et Uwe Loesch fait de même dans Area, comparant ses affiches suspendues au linge séchant dans les rues de Naples… Parler du travail de Zask impose de parler de sa personnalité, d’une conscience exacerbée de ce qui est produit, de ce qu’il faut faire. Ses conférences et son site web s’organisent selon un plan de Prague, capitale bohème où il faut savoir se perdre. Elle propose des itinéraires qui lui sont propres, plus volontiers axés sur la démarche que le commentaire des œuvres, et veille à ne pas enfermer la création dans une vérité unique, à préserver la part de réception propre à chacun. L’exigence s’exprime à nouveau et il n’est pas question de prendre le public par la main. Une création dont tout serait dit (ou pourrait l’être) ne serait pas une œuvre et aurait perdu son efficacité. Il existe un espace latent entre la graphiste et le public. Sa révélation s’appelle du graphisme et n’est pas dénuée de poésie.

Uwe Lœsch

Uwe Lœsch
L’accent aigu de la typographie

Area – 100 graphic designers, 10 curators, Phaidon [New York], p. 396-399, 2003

Mit Catherine Zask ist es eine Freude zusammen zu sein. Sei es in ihrem Atelier in der Rue du Faubourg-Saint-Martin à Paris, wo ihre phantastischen Plakate wie neapolitanische Wäsche zum Trocknen an der Decke hängen, sei es auf einem Symposium am Ende der Welt, wenn sie dem erstaunten Publikum ihre intelligenten typografischen Experiemente vorführt.

Um ihre Arbeiten zu verstehen, muss man sie einmal tanzen gesehen oder beobachtet haben, wie sie souverän eine Selbstgedrehte vollendet. Kurzum, ich bin ein Fan von Catherine, von ihren Arbeiten, von ihrem Sosein. Sie ist eine One-Woman-Show. Sie ist eine Künstlerin im spielerischen Umgang mit den Buchstaben und Wörtern, die die Welt deuten. Einige ihrer Arbeiten grenzen an Hexerei. Im Mittelalter wäre sie bestimmt auf dem Scheiterhaufen gelandet. Denn wie jeder Künstler ist sie in ihren Arbeiten unabhängig und frei und nur sich selbst verpflichtet.

Diese Unabhängigkeit von den vordergründigen Prämissen des Grafik-Designs, von den kleinkarierten Anforderungen des Marketing oder gar von den einfältigen Wunschvorstellungen der Auftraggeber weiß Catherine Zask offensichtlich mit viel Elan und Energie zu verteidigen. Ihre Arbeiten sind Ausdruck einer Geisteshaltung, die fern jeder dekorativen Effekthascherei liegt. Im großzügigen Umgang mit der Fläche demonstriert sie den Besitzanspruch der Wörter. Mit raffinierten An- und Abschnitten der Buchstaben inszeniert sie eine eigene Zeichensprache. Selbst die Atempausen, die Räume zwischen den Wörtern, sind Gegenstand ihrer Kreativität.

Die Liste ihrer current clients liest sich denn auch wie ein » Who is Who « in der Administration intellektueller Interessen in Frankreich : Université de Franche-Comté ; Scam — Société civile des auteurs multimedia ; Collège international de philosophie ; L’Hippodrome, scène nationale de Douai ; Ministère de la Culture, direction de l’architecture ; École d’architecture Paris-Malaquais.

Eine ihrer besten Plakateserien wurde 2002 auf der Internationalen Plakat Biennale für Grafik-Design in Brno (Tschechische Republik) mt dem Grand Prix ausgezeichnet. Zur Freude aller kam Catherine sofort angeflogen. Denn Feste muss man feiern, wenn sie fallen. Catherine ist Miglied der AGI Alliance Graphique Internationale, dessen 330 Mitglieder aus 29 Staaten sich einmal im Jahr an einem besonderen Ort in einem anderen Land treffen. Au revoir, Catherine.

Henri Meschonnic

Henri Meschonnic
Au commencement était la lettre.
1988

Au commencement était la lettre. Des lettres qui se côtoyaient comme des livres dans une bibliothèque. Puis elles se sont mêlées l’une à l’autre. L’écriture est devenue une désécriture. Le discontinu est redevenu du continu. Des formes ouvrent sur de l’inconnu. Donnent des petits noms à l’invisible. S’épanouissent en du jamais vu.

Catherine Zask invente des formes. Trace des rythmes. C’est pourquoi l’encre, le noir est sa matière de travail. Elle en extrait des transparences, des éclatements, des resserrements qui échappent à tous les pièges. Ceux du figuratif et de l’illustration, ceux de l’abstrait et du décoratif. Tantôt par le subtil et une réinvention de l’humour. Tantôt par la force. Chaque expérience est une surprise. On n’en verra ici que quelques exemples.

Ce ne sont pas des rêves d’encre sur le mode surréaliste. Où le regard se perdait dans des brumes de formes. Dans l’informe. Ici au contraire les traits, les masses, les pleins et les vides ont une fantaisie qui se grise d’elle-même. Sont une joie de vivre rendue visible.

On reconnaît que les formes sont neuves à ceci, qu’elles accroissent la difficulté de parler du visuel. Chez Catherine Zask, l’imprévu paraît si naturel qu’on oublie qu’il est la trouvaille d’un travail incessant, mêlant plusieurs métiers et techniques, qui à leur tour créent leurs outils.
Et comme toujours, inventer de nouvelles choses à voir, c’est déjà inventer une nouvelle manière de voir.



Henri Meschonnic
une artiste de la lettre
Nikkei Design, Japon, 1990

Catherine Zask est une artiste de la lettre. C’est le même professionnalisme, dans ses travaux de commande et dans sa création personnelle. L’invention mène constamment sa main.

Les images de marque qu’elle a conçues : celle de l’Université de Franche-Comté (elle y est responsable de la communication visuelle depuis 1986), celles du Groupe Ma et de Ris & Danceries (compagnies de danse), sa carte de vœux pour les Télécommunications, le dossier de presse Citroën, ou la calligraphie des Trois Suisses… Il suffit de les regarder pour voir que c’est chez elle un seul et même accompagnement personnel, de l’idée à la vision, du langage à l’image. Elle part de sa compréhension de ce qu’il y a à dire, et l’image le communique d’autant mieux qu’elle y a mis l’intuition la plus subjective.

Autant de réalisations, autant d’univers typographiques, qui supposent toute la cohérence d’un principe rédactionnel, son efficacité, son effet social. Et une indispensable relation de confiance, une collaboration construite avec les demandeurs. Ses clients ne s’y trompent pas, et l’impact de son œuvre est déjà international : des publications au Japon et aux États- Unis, un enseignement à l’école de Communication Visuelle de Paris, des interventions à l’école Supérieure d’Arts Graphiques (ESAG) pour la School of Visual Arts de New York.

Rien mieux que la rigueur, et l’exigence que montre Catherine Zask, pour faire que cette chose si galvaudée qu’on nomme la communication visuelle, devienne, comme chez les grands, ce qui entraîne et déborde toutes les stratégies : un art.

Edo Smitschuijzen

Edo Smitschuijzen
extract from News and Notes, AGI Congress, Helsinki, November 2003

Catherine Zask is undeniably French and quite charismatic. Her approach to design is that of an artist. A designer does a job employing visual means, an artist creates a personal visual universe. That’s what Catherine does. A grant for the Prix the Rome some time ago was spent in cutting traditional letter strokes apart and rearrange the loose elements in a different order. The results are very intriguing, like messages coming from a different civilization. However the function is rather limited, nobody understands the meaning of this script, except Catherine perhaps. Her letter experiments got ‘wings’when a young computer wizard became her personal assistant. Handcraft was replaced by digital speed and efficiency. Her output exploded. Catherine was also invited to become part of the poster-crowd. Her artist approach paid off handsomely when applied to this medium. She showed very fresh and personal typographic work.